Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/109

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dimanche dans une scène intitulée Jeanne d’Arc, et jouée debout sur un cheval libre, une vraie composition d’écuyer du Cirque ! Comme beaucoup de ses pareilles, Emma aime un sacripant, admirable jeune homme arrangé en Malek-Adel de pendule, qui la vole, qui la bat, et qui la trompe. Un jour, il avait dépassé ses espiègleries ordinaires ; il était parti pour Londres, en compagnie de je ne sais quelle figurante. Or, le matin même, Emma n’avait pas trouvé ses diamants à leur place, et elle avait cru seulement à une étourderie de sa femme de chambre ; elle comprit toute la vérité en recevant au Cirque même, comme elle s’habillait pour monter à cheval, un billet d’adieu tendrement hypocrite. En se voyant si audacieusement quittée et bafouée, elle ne put retenir une explosion de douleur ; elle éclata en pleurs et en sanglots.

» Toute costumée déjà sous les haillons poétiques de la vierge de Vaucouleurs, mais déchevelée et meurtrie, car elle s’enfonçait les ongles dans la chair, elle poussait des cris de désolation, et cinq à six péronnelles, couvertes de satin et de cliquant, la consolaient en bavardant comme des pies, en lui frappant dans les mains et en lui faisant respirer des sels. Hébé Caristi entra dans la loge au milieu de ce beau désordre, et elle fut bien vite au courant de la situation. — Ah ! pauvre fille, dit-elle de sa voix de marionnette, c’est votre amoureux qui nous cause tout ce chagrin-là ! Allez, ça me connaît ; le mien ne m’en fait pas d’autres. Si je vous le disais ! Eh bien oui, mon Raphaël, à qui j’ai tout sacrifié, se moque de moi avec des laiderons. Va, ma pauvre chérie, continua-t-elle en soupirant, nous n’avons pas fini de souffrir.

» Certes, les danseuses qui étaient là furent étonnées, effrayées et ahuries en écoutant ces paroles mignardes