Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/152

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raisonnables pour quitter vite ces guenilles. Je m’en vais de ce pas achever d’acheter toutes les choses qu’il me faut, et je vous envoierai les marchands. » Mais celle-ci, la plus chérie de toutes, celle dont le grand Heine fut le dernier amoureux, suivant sa chasse par les nuits d’étoiles, et, le jour, s’asseyant sur la pierre de son tombeau ; celle-ci, la fille d’Hérodiade, que pare la grâce ingénue du meurtre, vivante figure de l’Asie sanglante et voluptueuse, noyée dans les parfums, celle-ci n’est-elle pas vêtue d’étoffes plus riches que ses deux compagnes, n’a-t-elle pas des yeux plus fauves et des cils plus soyeux, ne porte-t-elle pas au cou des perles plus rares ? Celle-ci, le génie du peintre l’a créée tout entière, car l’évangile de saint Marc ne contient pas à propos d’elle un seul mot de description. « Car la fille d’Hérodiade y étant entrée et ayant dansé devant Hérode… » Et c’est tout. Ainsi le peintre l’a devinée, l’a faite de rien ? Oh ! non, je me trompe, déjà elle vivait dans toutes les âmes avec tous les enchantements de la forme divine, et pour cela, pour être vue plus brillante que l’Orient, plus jeune que l’Aurore, plus femme que ne fut Ève dans le jardin des parfums, il lui a suffi d’avoir tenu dans ses mains une tête coupée, car il est si vrai que nous ne pouvons rien aimer, sinon les petites mains teintes de notre sang ! Mais cet amour de parure, de musique, de danse effrénée, cette joie sereine et tranquille du meurtre accompli, comme il les avait compris à travers le poëme non écrit, l’artiste qui avait tiré ces trois femmes de son cœur déchiré ! Quel harem fait pour y rêver mille ans, la muraille où sourient ces trois femmes qui sont la même, avec leur nuage de cheveux crêpés sur le front, leur lèvre écarlate et leur prunelle d’or pleine d’étincelles ! Jamais, dans le plus complet dé-