Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/161

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jamais aimé que lui, elle avait eu bien des regrets, bien des remords, bien des désespoirs, car elle avait bien deviné avec son instinct de femme la haute supériorité de Margueritte et sa bonté angélique, enfin tout le chapelet des calembredaines sublimes ! Ce n’était plus la Céliane du bal de la Verrerie ; toujours svelte, elle était devenue grande, imposante ; ses traits, en conservant toute leur grâce, avaient pris un caractère de noblesse farouche : sa coiffure seule, crêpée et courte sur le devant, frisée sur les joues en longues boucles fauves, n’avait pas changé, non plus que sur sa lèvre sanglante le charme du délicieux éclair rose !

Elle jouait Dorimène du Mariage forcé et jamais peut-être Molière n’a trouvé une incarnation si parfaite du type rêvé : « Il me tarde déjà que je n’aie des habits raisonnables pour quitter vite ces guenilles ! » La représentation finie, Margueritte enleva, emporta Céliane sans lui laisser le temps de quitter son costume, et ne remarqua même pas qu’au départ elle causait à voix basse avec un jeune dandy, en l’enveloppant de ce regard qui sert à accompagner les mensonges. Le surlendemain il était à son chevalet, créant, tout armée, la Dorimène de Molière. La vieillesse, l’abattement, la fatigue avaient disparu, c’était le jeune artiste Margueritte rafraîchi dans les eaux de Jouvence que garde l’amour, et recommençant une vie glorieuse. Il donna à ses amis un beau dîner dans lequel il leur présenta Céliane comme la compagne de tout son avenir ; là, il s’accusa, fit sa confession, demanda solennellement pardon pour les années gaspillées, et parla avec tant d’éloquence vraie qu’il arracha des larmes. Je compterais par trop sur votre naïveté, ajouta Vandevelle, si je me croyais obligé de vous dire que cette seconde liaison de Margueritte se