Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/202

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fou. Je le reconduisis jusque chez lui, je l’installai de force dans son propre fauteuil et je lui mis à la main un volume de Hugo. Cela fait, je renversai les tiroirs sens dessus dessous. La première chose qui me tomba sous la main était un manuscrit intitulé : Véronique. Sur-le-champ je me mis à lire.

Dès la seconde page, j’étais consterné d’étonnement. Le livre de Jodelet était un chef-d’œuvre. Il y avait dans ces pages dédaignées par leur auteur toutes les grandes qualités des écoles modernes, les hautes conceptions, les larges vues morales et philosophiques, la hardiesse et l’élégance d’un style rompu à toutes les habiletés, et enfin cette lumière vive qui réchauffe la tranquille et puissante harmonie des compositions magistrales. Seulement, de loin en loin, je trouvais des développements parfaitement indiqués, mais que l’auteur avait négligé d’écrire, par dégoût ou par lassitude. Après avoir dévoré tout le manuscrit, je dis à Louis, qui, environné de fumée, semblait poursuivre son rêve favori :

— Écoute, Jodelet, je ne t’engage pas à compléter ton livre, je sais que ce serait inutile ! Si tu veux, je souderai le tout et j’irai trouver Ladvocat. Mais sache bien une chose, il y a six mille francs là dedans.

— Fais comme tu voudras, me répondit Louis d’un ton dolent, mais à quoi bon ! Un jour ou l’autre ne faudra-t-il pas finir par être domestique !

Je me levai furieux, et j’emportai le manuscrit. Huit jours après, Ladvocat au comble de la joie, m’envoyait les six billets de mille francs, dans un portefeuille enrichi d’une magnifique miniature d’Isabey. Il voulait absolument que le roman parût à quinze jours de là. Forcé par un douloureux événement de famille de faire un voyage à Tours, je suppliai Jodelet de revoir les