Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/204

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baroques et cruelles, pas d’idées, pas de style, la grammaire de Margot et l’orthographe de M. Marle ! Atterré, confondu, j’aurais voulu être à six mille lieues de là, et je priais la terre de s’entr’ouvrir.

— Mon ami, dis-je à Ladvocat (et j’avais des larmes dans les yeux), j’y périrai ou je vous rendrai vos six mille francs.

— Non pas, me répondit Ladvocat avec cet aimable sourire et ces belles manières qui faisaient de lui le seul libraire de ce temps, vous ne me rendrez rien, mais vous me donnerez quarante mille livres de rente !

C’est avec des mots comme celui-là que ce grand homme nous renvoyait au travail plus forts, plus jeunes et plus audacieux après une chute. Quinze jours après, j’avais oublié cette histoire, et quant à Jodelet, je ne le revis pas de trois mois.

— Et où le revîtes-vous ? demanda le peintre.

— Messieurs, c’est ici que l’histoire devient incroyable.

— Alors, dit le musicien, nous la croyons.

— C’était, reprit Verdier, au commencement de l’été, par une éclatante matinée de juin. Après avoir fait un très-bon déjeuner, je me promenais aux Champs-Elysées en songeant à une dame blonde, et en piétinant sur ces longs rubans d’asphalte que nous ont donnés des édiles prévoyants pour que nous puissions défier la fange et la poussière. L’air était pur, le ciel bleu, les nuages amusants ; le feuillage éclatait sur ma tête avec des tressaillements de lumière chatoyante et fleurie, je ne songeais pas à mon feuilleton, j’étais ce qu’on appelle un homme content de vivre. Tout à coup, un spectacle singulier frappa mes regards.

Un jeune homme beau et fort, mais vêtu de haillons