Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/214

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brisait des assiettes sur la tête des valets, enlevait les plats avant qu’on n’y eût touché, versait à boire coup sur coup à des personnages graves, et exécutait des tours de prestidigitation avec la serviette qu’il portait sous le bras, comme un marmiton dansant de Molière. Il se gardait bien de sortir de la salle sans faire le grand écart, et prenait des poses gracieuses.

Ma stupéfaction était au comble, quand le bizarre Jocrisse que j’avais sous les yeux ouvrit lui-même de gros yeux hébétés, étendit comme un danseur la jambe droite en avant, en roidissant la jambe gauche, et, levant les bras au ciel avec un entrain enthousiaste pareil à celui des paillasses de la foire, laissa tomber sur le parquet une énorme pile d’assiettes qui se brisa avec un fracas terrible.

— Tiens, dit Jodelet avec une excessive tranquillité, car bien entendu c’était Jodelet ! c’est toi, Léon, comment te portes-tu ?

— Malheureux, m’écriai-je avec une fureur étouffée, pas un mot !

Cependant j’avais beau vouloir me cacher, M. B… avait tout vu. Il n’y avait pas à tergiverser ; il fallait à l’instant même prendre un parti.

Dès qu’on eut quitté la table, j’emmenai M. B… au fond du jardin.

— Monsieur, lui dis-je, par une de ces incroyables aventures que sans doute nous ne pourrons jamais expliquer, je viens de voir chez vous, caché sous la défroque d’un valet, le seul homme qui puisse vous tirer d’embarras. M. Jodelet est un des plus grands écrivains de notre époque. Seul peut-être, il a vu d’assez haut les questions économiques pour pouvoir vous donner, du jour au lendemain, l’article qui vous manque.