Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/246

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prince Charmant ! Elle passait de longues heures à le regarder d’une coulisse agitant son épée au bruit des musiques triomphales ; elle le voyait s’agenouiller devant de belles personnes toutes tremblantes, et elle l’écoutait, désolée et ravie, murmurer d’une voix persuasive les plus belles phrases de l’amour. Elle fixait sur lui ses yeux bleus, puis elle versait des torrents de larmes, car il lui semblait impossible qu’elle devînt jamais une de ces glorieuses filles de roi qu’elle saluait au sortir d’un bosquet de roses, ou pour lesquelles, pauvre petit génie, elle agitait au haut des airs les rameaux verdoyants et les étoiles enchantées.

Or elle se disait qu’à moins de se voir ainsi la couronne en tête, et suivie par de jeunes pages portant la queue de sa robe tissée de rayons, elle n’attirerait jamais les yeux de ce héros qui triomphait des géants et des enchanteurs. Alors elle se sauvait au foyer, elle se jetait dans les bras de madame Paul, et elle pleurait encore, jusqu’à ce que la cruelle Adolphina l’eût rappelée au sentiment de ses misères réelles par quelque parole dure et brutale.

Pourtant la pauvre Minette eût été trop heureuse si cet amour fût resté ignoré de celui qui l’inspirait, et il n’entrait pas dans sa destinée qu’elle évitât aucune souffrance. Elle devait être une de ces martyres qui, toutes brisées et meurtries par les coins et les chevalets des tortures humaines, s’envolent purifiées et une palme à la main à l’heure ou s’exhale leur dernier souffle. Un soir, au moment où Couturier, ses derniers cheveux au vent, récitait en scène un monologue de désespoir et se tournait vers la coulisse de gauche en s’écriant : « Et vous que j’invoque à votre tour, ne pourrez-vous rien non plus pour moi, puissances infernales, divinités de