Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/27

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tête moins fière que la tienne ; enfin, comme dit ma tante, si leur sang n’avait pas fait trois tours lorsqu’ils ont entendu ta voix hardie et superbe, c’est qu’ils auraient été glacés et refroidis à jamais, et il n’y avait plus d’espérance. Mais quoi ! la nature a eu soin de te poser sur la joue une mouche assassine que t’envient toutes les femmes réelles ; partout où il y aura un homme, prince ou charbonnier, tu triompheras et vaincras par ce signe !

» Donc, c’est convenu, à Bourges comme partout, tu es enviée, fêtée, applaudie, et, ce qui vaut mieux, aimée, et, ce qui vaut mieux, heureuse ! Rapporte-nous des tombereaux de fleurs et surtout beaucoup d’argent, et même, si tu veux, des souvenirs. Mais, ô Jacqueline fortunée entre toutes les comédiennes, est-ce que tu as le temps d’avoir des souvenirs, toi déesse et reine de l’heure présente, toujours occupée à presser dans le cristal de ta coupe quelque grappe fraîchement cueillie !

» D’ailleurs, ce n’est pas de toi, mais de moi que je veux te parler aujourd’hui. Je t’écrirai une lettre tout égoïste, et j’ai besoin de te confier tout, car aussi bien j’étouffe, et je me meurs d’ennui, de dégoût et de désespoir. Oui, ma chérie ! et, si ça n’était pas trop bête, je crois que j’irais me jeter à l’eau comme une grisette ; mon âme est triste jusqu’au suicide et jusqu’au réchaud de charbon des repasseuses. Ce n’est pas que je sois lasse de vivre, non ! mais, tu le sais, toi qui me connais jusque dans la moelle des os, au contraire, je suis lasse de ne pas vivre, de m’agiter dans une éternelle fiction et d’être rivée à un mensonge qui ne finit pas. Oh ! Jacqueline, quel sort !

» Ne prends pas le temps de t’étonner, écoute-moi bien. Je t’écris après une rupture, encore ! après une rupture lâche, assassine, entourée d’hypocrisie comme tout ce