Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/306

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bohèmes de La Vie de Bohême n’en mirent jamais à gagner, entre cinq et six heures du soir, ce qu’ils appellent la grande bataille. Et encore, ces hommes prodigieux parvenaient quelquefois à dîner, tandis, que moi je n’ai jamais pu arriver un seul jour à la médiocrité dorée dont parle Horace. J’ai toujours été ridiculement riche.

— Bah ! demanda Roger-Bontemps en éclatant de rire, est-ce que vraiment vous trouvez cela ridicule ?

— Très-ridicule. Il m’a toujours semblé absurde qu’un homme possédât dix mille fois plus qu’il ne peut dépenser, même en faisant à chaque seconde de sa vie des folies à faire frissonner d’étonnement l’ombre d’Héliogabale. Aussi, du jour où je me connais, ç’a été un duel à mort entre moi et ma fortune, et c’est elle qui m’a tué ; car, sachez-le, je voulais être artiste ! Oh ! la fortune, elle m’a pris à bras le corps, elle m’a desséché les lèvres sous ses froids baisers, elle m’a fait des yeux couleur d’or, et un horizon d’or qui m’empêche de voir le soleil. Pour moi, grand Dieu ! tous les fleuves sont le Pactole ; ils roulent des paillettes d’or dans leurs vagues étincelantes. Pour moi, la musique c’est le chant de l’or ; la lumière, c’est le reflet de l’or ! L’or me poursuit comme un ennemi implacable ; j’ai, comme le Juif-Errant, mes cinq sous ; seulement, mes cinq sous, c’est cinquante millions. Je jette la richesse dans la rivière, et en me retournant je la trouve couchée dans mon lit ; je la fuis au bout du monde, elle est là qui ricane dans mon portefeuille. Qui diable a donc osé dire qu’il y a des moyens de se ruiner ?

— Ah ! dit la plus âgée des femmes, milord n’a sans doute pas essayé des femmes ?

— Ou, continua l’autre, milord n’aura pas rencontré de