Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/313

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que mademoiselle Mars et la célèbre George ; je veux me retirer dans tout l’éclat de ma gloire !

L’employé aux yeux de bouillon se tut, au milieu d’un certain étonnement. Tout le monde se récria sur la singularité de cette profession, et les esprits inclinaient visiblement du côté de Roger-Bontemps, quand le faux Rubens prit la parole après avoir passé ses doigts dans ses cheveux et cassé une assiette pour s’emparer de l’attention générale.

— Messieurs, s’écria-t-il, vous voyez en moi le vernisseur des pattes de dindons.

Inutile de décrire ici la vive émotion des auditeurs. Le faux Rubens la domina pourtant en secouant encore une fois sa chevelure qui faisait la nuit dans la salle, et dit avec feu :

— Je ne nie pas l’originalité des yeux de bouillon factices ! Mais que faut-il pour arriver à ce trompe-l’œil ? Un léger sentiment de la ligne et quelque dextérité dans le poignet.

Moi, messieurs, je suis un coloriste !

Quand une volaille n’a pas été vendue en son temps, qu’arrive-t-il ? Les pattes, d’abord si noires et si lustrées, s’affaissent et pâlissent, le ton en devient terne et triste, signe révélateur qui éloigne à jamais l’acheteur, initié aux mystères de la couleur par les admirables créations de Delacroix. Attiré souvent dans le marché aux volailles par cet amour de l’inconnu qui caractérise les artistes, je m’aperçus de cette mélancolie des pattes de dindon, et j’entrevis un nouvel art à créer à côté des anciens.

C’est à moi qu’on doit les vernis à l’aide desquels les marchands dissimulent aujourd’hui la vieillesse des rôtis futurs ! vernis noirs, vernis bruns, vernis gris, roses,