Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/317

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Tout le monde frémit.

La jeune fille reprit après un silence :

— Quand Obermann sera mort (il s’appelle Obermann !), ses parents diront simplement : Le malheureux mangeait son bien avec des filles d’Opéra !

C’est moi qui joue les filles d’Opéra.

À ce monstrueux récit, lord Sidney se sentait frémir d’une secrète horreur, et le jeune homme de dix-huit ans ouvrait des yeux grands comme le monde. Il fallut cependant écouter encore l’homme à la balafre ; mais l’effet était produit, et c’était, comme on dit, la petite pièce.

— Moi, dit cet athlète d’une voix formidable, je suis employé au théâtre Saint-Marcel, un théâtre situé rue Censier, dans un quartier de tanneurs.

On m’y appelle le figurant qui remplace le mannequin.

Le théâtre Saint-Marcel est l’enfer de la pauvreté humaine. Les comédiens s’y peignent les pieds avec du noir pour imiter les bottes, et cirent des bottes réelles pendant l’entr’acte à la porte du spectacle. Un procès compliqué contre les quinze derniers directeurs du théâtre Saint-Marcel absorbe le peu d’argent que les artistes gagnent à cette industrie de commissionnaire. À ce théâtre, on ne se souvient pas d’avoir été jamais payé ; et c’est à ce point qu’un maître tanneur ayant laissé tomber dans le foyer des comédiens une pièce de cinq francs, cette pièce est restée là jusqu’à ce que son propriétaire vint la chercher, car personne ne savait ce que c’était !

Le directeur nourrit les artistes chez un marchand de vins dont la boutique est située en face du théâtre ; le matin, ils ont du petit-salé ; le soir, la soupe, le bœuf et