Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passer devant, une salade de pommes de terre se paye le prix d’un diamant, et c’est une fausse salade de pommes de terre ; l’huile est de l’huile d’œillette et le vinaigre du vinaigre de bois, et il n’y a pas seulement de fourniture ! Restent les plaisirs, je sors d’en prendre. Être femme de plaisir, cela veut dire passer sa vie à s’habiller dans un cabinet de toilette en perse verte capitonnée ; sortir avec des grues et entendre les dames qui passent dire de vous : « Cette fille ! » aller aux courses et manger de la poussière grise comme avec la cuiller ; aller à la comédie, et, toute la soirée, avoir une ouvreuse qui vous fourre des Entr’acte dans votre corsage et des petits bancs dans votre crinoline. D’ailleurs, on ne joue que du Laya, et les personnages de M. Laya sont aussi ennuyeux que ceux avec lesquels j’ai vécu pour gagner ma vie. Toutes les nuits il faut souper avec le même champagne et les mêmes écrevisses à la bordelaise, et il y a plus de dix ans que j’ai envie de manger un ragoût de chrétien. Figure-toi, les gens qui nous mènent souper ne soupent jamais, ils sont ivres ; ils nous enfument avec de mauvais cigares dont ils font tomber la cendre sur nos robes et sur nos épaules, ils causent de la Bourse et racontent leurs bonnes fortunes, ce qui veut dire : traîner dans leur conversation les noms de femmes qu’ils ont assommées, excédées et abruties pour de l’argent ; voilà ce qu’ils appellent leurs bonnes fortunes ; et encore elles ne sont pas vraies ; par-dessus le marché, c’est des mensonges ! En dix ans, j’ai connu un jeune homme qui était beau ; il était né avec un cœur d’usurier et de juif ; quand il me menait dîner au restaurant, il buvait tout le vin sans me verser à boire, et, s’il avait par hasard quelques louis, il les cachait dans ses souliers. J’ai tant monté les escaliers à de l’hôtel des