Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/40

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geait souvent qu’elle n’eût jamais voulu franchir le seuil de son logement de garçon. Une fois il eut à faire un voyage de quatre jours, et, à son retour, il trouva madame de Lysle l’attendant chez lui au coin du feu. Pendant l’absence de Pierre, elle avait fait installer et meubler chez lui une salle de bains et un cabinet de toilette absolument pareils à ceux qu’il admirait, dans l’appartement d’Henriette ; et, depuis lors, elle vint toutes les fois qu’il l’en pria.

Henriette avait la douce respiration d’un enfant et dormait avec la grâce immobile des toutes jeunes filles. Son souffle était si doux et ses mouvements si ailés, qu’un homme endormi ne pouvait s’apercevoir qu’elle s’éveillât ; pourtant, je ne sais par quel indicible instinct, Pierre eut le sentiment qu’il était toujours seul à ces premières heures du matin où l’âme lutte entre la mort et le réveil, et qu’alors Henriette n’était plus auprès de lui. Mais cette impression ne se formula pas, et d’ailleurs, noyé dans le ciel des anges, il n’y avait de place en lui pour aucune pensée.

Donc, une si rare félicité fit émeute dans Paris. On en parla, on en cria, tout le monde embrassait Pierre Buisson dans l’espoir de l’étouffer ; on lui prêtait de l’argent de force, quoiqu’il n’en eût pas besoin, et je crois que s’il se fût promené la nuit dans une forêt, fût-ce au bois de Boulogne, il aurait été égorgé comme un loup ou empoisonné comme un chien.

Par un soir de juin, il y a deux ans de cela, une société toute parisienne était réunie dans le parc du château que M. V… occupait alors à Auteuil ; des dames charmantes d’abord, puis M. Achille B…, M. Nestor R…, M. S…-B…, le comte Horace de V…, Adolphe A…, Paul S…, René, et j’en passe. Comme Pierre Buisson était le