Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’objets religieux ; établi rue Cassette. Elle se mit à raccommoder les chaussettes avec frénésie, et à écrire sur le livre de cuisine, en comptes de menues dépenses, la valeur des œuvres complètes de Voltaire ! Elle fit une orgie de vie bourgeoise, occupée du linge, du comptoir, donnant des ordres, faisant des conserves, recevant le soir de vieux voisins qui venaient jouer au boston à un sou la fiche. Hélas ! vains efforts ! Aucune fleur bleue ne s’épanouit au souffle de cette brise domestique, et madame Anacharsis resta, comme Valentine, une statue.

Alors elle jeta son bonnet par-dessus les moulins ! Il y eut madame Anacharsis infidèle, quittant son mari, le perdant, le retrouvant, cherchant à connaître les âpres saveurs de ces fruits défendus que croquent à belles dents les épouses fugitives. Il y eut madame Anacharsis donnant à ses amoureux des alliances de mariage, et allant faire bénir à Greetna-Green ses unions adultères. Puis les voyages ! La Suisse et l’Italie vues en compagnie d’un jeune Anglais aux cheveux dorés ou d’un féroce Brésilien, qui sait si bien dire : « Si jamais tu me trompes, je te tuerai ! » Valentine a bu la neige des torrents, elle a laissé bondir sur son sein les cascades échevelées, elle a frappé du poing les rocs et mordu l’écorce des arbres en criant à toute cette nature : « Dis-moi ton secret ! » Ce secret, elle l’a demandé aux noires forêts, aux grottes obscures où pendent les stalactites, aux fleuves immenses, aux villes, aux basiliques, à la vieille Venise endormie en son linceul ! Mais la Nature a gardé son secret pour elle et pour les hommes de bonne volonté, et madame Anacharsis, ivre et folle, à continué à faire la joie du Paris folâtre en promenant son éternelle interrogation des agents de change aux poëtes