Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/63

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et une patience angéliques ; mais, je dois le dire, ces consolations mêmes m’irritaient, car elle semblait trop manifestement ignorer, quant à elle, les souffrances qu’elle venait soulager, et sa pitié, par trop sereine, me remplissait de confusion. On eût dit un être supérieur venant verser un baume divin sur des blessures qu’il ne connaîtra jamais, et tout mon cœur se révoltait contre cette fierté superbe.

— » Ainsi, lui dis-je exaspérée enfin, tu n’as jamais eu ni amant ni chagrin d’amour, et j’ajoutai avec colère : ni sang dans les veines probablement ? — Amie, me répondit Berthe avec une grande douceur, je crois que vous confondez, toutes tant que vous êtes, des choses qui hurlent de se trouver ensemble, et peut-être passez-vous votre vie à vous faire des illusions et à les perdre ? Vous donnez votre âme, vos secrets, votre maison, votre liberté au premier venu, et vous faites après cela grand bruit, vous, des bohémiennes de grand chemin, pour lui abandonner un bien que les héroïnes de l’antiquité et les marquises du XVIIIe siècle n’estimaient pas si haut que vous le faites. La raison ne conseillerait-elle pas de faire tout le contraire ? Les faveurs que vous accordez vous semblent d’un si haut prix que l’homme qui les a reçues est dispensé de toute politesse. Lui seul est beau, spirituel, sacré entre les hommes, et c’est vous offenser directement que de voir la beauté et l’esprit ailleurs que chez lui. Puis, quand vous apercevez qu’il n’est rien de ce que vous aviez inventé, vous arrachez vos cheveux que personne ne vous remplacera. Pour moi, ma chère Jacqueline, j’ai du sang dans les veines, quoi que tu en dises ; mais si j’admire des yeux noirs je ne me figure pas pour cela qu’il n’y a plus au monde d’autres yeux noirs, et surtout je ne leur donne pas le droit de lire jus-