Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/77

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des lèvres si douces et si tristes, ces petites mains longues et déjà blanches et par-dessus tout l’expression résignée et poétique des traits qui donnait un charme douloureux à tant de grâces enfantines, prenaient et subjuguaient les âmes. Camille Roqueplan a peint d’après Emmeline une tête qui reste un de ses chefs-d’œuvre, et que M. Aguado vient de reproduire tout dernièrement par la photographie. Ce portrait, type de la beauté angélique, semble celui d’une jeune martyre, destinée à être égorgée sous ses roses blanches avant même d’avoir mouillé ses lèvres au bord de la coupe, et explique la séduction irrésistible exercée par Emmeline sur un monde où il se remue pourtant sans relâche tant d’or et tant d’idées, et qui ne perd pas les minutes à s’attendrir.

On l’adorait d’autant plus que c’était une véritable enfant, si émue et émerveillée pour un hochet ou pour un bout de ruban, pour quelques bonbons que lui donnaient ces charmantes femmes, mademoiselle Louise Marquet ou mademoiselle Mathilde Marquet, ou mademoiselle Legrain, ou mademoiselle Nathan, ou mademoiselle Crétin, qui ressemble au portrait de la Joconde ! Madame Cerrito et cette illustre Alboni, qui est bonne par-dessus le marché, mangeaient de baisers la petite Mignon, et, pendant la représentation, lorsqu’elle pouvait entrer pour quelques instants dans une des « loges sur le théâtre, » dans celle de M. Barbier ou dans celle d’Arthur Kalbrenner, on la fêtait comme une petite princesse. Et elle remerciait si gentiment, si naïvement ! Mademoiselle Alboni lui disait un jour : Petite Mignon, aimerais-tu à être la fille d’une reine ? — Si je n’avais pas ma mère, répondit Emmeline. Oh ! oui, sans doute, oui, madame, car je me sens bien heureuse quand vous m’embrassez ! (Ô divine inspiration des enfances rayonnantes !)