Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/79

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mon souvenir son regard, qui me dit : Travaille ! et ses mains dans lesquelles, visibles pour moi seul, ondoient les palmes verdoyantes… »

Comme je n’écris pas un roman, veuillez accepter sans explication que l’atelier d’Abel Servais est précisément contigu au très-riche appartement occupé par mademoiselle Euphrasie Godevin, de l’Opéra, au haut d’une maison-hôtel de la rue Boursault, élevée seulement de trois étages. Vous pensez bien qu’ayant là, à la portée de main, les Œuvres complètes de M. Scribe (édition Furne, avec les gravures d’après les deux Johannot), il me serait facile d’y trouver un truc pour rendre vraisemblable cette circonstance vraie. Mais alors, à quoi cela servirait-il de ne pas aller à la comédie et de rester chez soi, chaussé de bonnes pantoufles, en s’occupant à lire Atta Troll ? Quoi qu’il en soit, le facétieux caricaturiste Cardonnet, si franchement exécré par M. Philippon, à cause de son manque d’exactitude, avait occupé, avant Servais, l’atelier de la rue Boursault, et, par suite de la gaminerie inhérente à son caractère, avait cru devoir percer dans son mur force trous de vrille, pour épier l’existence très-tourmentée d’Euphrasie Godevin. Cette circonstance, connue d’Abel, lui avait été jusqu’alors on ne peut plus indifférente ; mais devinez avec quelle ardeur il vint coller, tantôt ses yeux, tantôt son oreille aux trous de vrille, quand il eut reconnu à travers la cloison, chez Euphrasie, la voix mélodieuse d’Emmeline Bazin. Aussi ne perdit-il ni un mot ni un geste de la scène qui se passa entre cette idéale enfant et mademoiselle Godevin, ce qui explique son trépas élégiaque ! Il mourut, comme tant de rêveurs, faute d’avoir médité le mot du financier Ouvrard : que le premier devoir d’un homme est d’être complétement et