Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/88

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la vue trouble le sang dans nos veines, ni cette peau dorée comme la jeune vigne que chante le poëte de Rosina, et qui s’harmonise forcément avec la lèvre à la turque. L’embonpoint et les lis des Autrichiennes du XVIIe siècle, la régularité de traits des figures des bas-reliefs d’Égine lui sont interdits comme indiquant des tendances païennes et sensuelles ; la maigreur, comme horrible. Tony Johannot a quelquefois dessiné et peint sa robe dans des eaux-fortes et dans des aquarelles ; il aurait aussi dessiné sa tête douce et gaie, bienveillante et fière, si ce charmant génie avait pu faire un pas de plus vers l’Idéal.

La Jeune Fille Honnête ne peut demeurer qu’au faubourg Saint-Germain, et dans un appartement donnant sur des jardins. Ai-je besoin de dire que ses parents ne doivent exercer aucune profession qui tienne à l’Industrie : que ne défloreraient pas les haleines du Monstre et les grincements de ses roues ?

Elle ne sait pas peindre de fleurs ni de paysages, et il faut qu’elle réalise ce difficile problème : savoir très-bien toucher du piano et ne pas être forte sur le piano. Sans doute, elle n’a pas regardé une romance moderne ! mais est-ce assez ! Non, le concierge même de la maison ne doit pas fredonner les chansons de Pierre Dupont et surtout celles de M. Nadaud, en se promenant de long en large sur les pavés blancs de la cour, où l’herbe pousse !

Ce n’est rien pour elle non plus que la devise de l’hermine : plutôt mourir ! Car, non-seulement il faut qu’elle ne soit jamais souillée, mais aussi que ni les hommes, ni la Nature, ni le Hasard même n’aient voulu tenter de souiller l’air qui frémit autour d’elle. Ô coiffures bouffantes, anglaises et sévignés, accroche-cœurs, larges tresses relevées en ferronnières, c’est vous que nous