Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/90

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comme elle : Thouvenin, conseillé par Nodier, n’aurait pas pu en faire un pareil. En donnant une pièce de monnaie à un pauvre, elle lui parlait, et, à ce son de voix, le pauvre, comme transfiguré, croyait emporter chez lui tous les millions des Rothschild !

Il y a six ans, elle avait dix-huit ans alors, mademoiselle de T… faillit mourir d’une maladie de langueur. Après avoir longtemps ignoré la vérité, M. de T…, dont les yeux s’ouvrirent enfin, se repentit de l’imprudence qu’il avait commise en accueillant chez lui un secrétaire jeune et beau, un exilé italien, le comte Angelo C… Quoique absolument pauvre, le comte C… était de la meilleure noblesse de Florence. Lorsque M. de T… vit que sa fille avait déjà les pâleurs du tombeau, il la supplia en pleurant d’avouer sa fatale passion ; mais Claire fut muette, même avec sa mère, même avec son directeur, et voulut se confesser à un autre prêtre. Dieu la sauva pourtant.

Deux ans après, M. de T…, complétement ruiné, alla refaire sa fortune en Australie. Sous son toit, jusque-là honoré, la gêne fut telle qu’un vieillard osa faire pressentir je ne sais quelles infâmes pensées. Enfin, un jour, Claire comprit que bientôt peut-être il y aurait une reprise au mouchoir de batiste avec lequel madame de T… essuyait ses larmes. Pour la première fois de sa vie elle sortit seule, et rentra frappée à mort, serrant convulsivement dans sa main un petit portefeuille tout gonflé. Elle eut avec sa mère un entretien mystérieux. Quand M. de T… et le comte Angelo furent revenus, riches tous deux, et que Claire continua, comme par le passé, à refuser de devenir comtesse C…, on ne put leur arracher un mot, ni à l’une ni à l’autre. Mais le ciel fit à Claire cette grâce spéciale : elle succomba, non pas à l’ané-