Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/99

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Ce nom, qui aujourd’hui ne nous représente rien, a été acclamé jadis avec tous les transports de l’admiration furieuse, et celle qui le portait a été applaudie par les mains qui pétrissent la destinée des empires. Sans doute, les lois implacables qui nous attachent à la terre n’existaient pas pour cette buveuse d’espace et d’infini, soutenue sur des ailes invisibles. Sa sérénité et sa bravoure intrépide en faisaient une créature surhumaine. Rivale, et rivale heureuse de madame Saqui, cette poétique figure qui fut tout de suite reléguée par elle au second plan, Hébé Caristi avait à elle seule, sans maîtres, sans précédents, sans inspiration autre que celle de son esprit exalté, créé tout un art, inouï, singulier, et parfois grandiose, le mimodrame funambulesque, prodigieux effort d’organisation et d’intelligence que personne ne lui avait enseigné et qu’elle n’a pu enseigner à personne. Mais saurai-je faire comprendre au lecteur ce que fut ce genre de drame dans lequel l’abstraction était certainement plus quintessenciée que dans la tragédie de Bérénice ou dans les symphonies les plus idéales ?

La grande funambule qui, même aux jours épiques de notre histoire, put devenir une des illustrations parisiennes, était née en Servie, dans une peuplade de bohémiens, qui tous exerçaient la profession de saltimbanques et de jongleurs nomades. Avant d’avoir atteint sa dixième année, comme son père et sa mère étaient morts, elle prit le gouvernement de leur troupe ambulante, et tous ces gentilshommes de la belle étoile, subjugués par sa danse merveilleuse, lui obéissaient aveuglément. D’ailleurs une sorcière, très-redoutée à Belgrade, avait fait à Hébé Caristi une prédiction dont l’effet fut immense sur ses compagnons. Elle et tous les siens devaient accomplir des prodiges d’audace et faire une rapide fortune. Elle