Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/105

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grec, ni au latin, elle est née cadavre, chose morte.

Comment donc ce cadavre a-t-il pu pendant si longtemps faire semblant de vivre ? Ceci n’est pas seulement une question qui se rapporte au passé : c’est une question actuelle, palpitante. Ce qui fut dès la fin du xviie siècle, ce qui est encore aujourd’hui, après Lamartine, après Hugo, après Musset, après Gautier, après Leconte de Lisle, après Baudelaire ! le grand obstacle à la perfection de notre poésie, c’est l’amour de la servitude, c’est la lâcheté humaine. Il faudrait des volumes entiers pour raconter cette lamentable histoire ; pour montrer comment, en fait de versification comme en fait d’autre chose, l’homme déchu est rebelle à la notion de la liberté ; pour énumérer toutes les viles ruses de conscience à l’aide desquelles il se persuade qu’il y a avantage à être esclave, et je dois expliquer cela en quelques lignes, en quelques mots ! Je l’essayerai pourtant.

HISTOIRE DE LA POÉSIE AU XVIIIe siècle.

Pendant un siècle entier, les faiseurs de vers ont obéi à Boileau, parce qu’en lui obéissant ils pouvaient, sans avoir besoin de penser ni de travailler, ni d’être artistes, jouer le rôle de poètes,