Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la moitié de leur cause. Le sens restant libre dans le vers libre, le poëte pouvant couper son vers comme il l’entendait, le faire tour à tour pompeux, hardi, vif, pressé, terrible, splendide ; il fallait encore, malgré toutes les entraves acceptées, du génie, de l’imagination, de l’oreille pour en être maître, et surtout il fallait avoir l’invention dans la Rime : être un RIMEUR ! Enfin Malherbe vint… et après Malherbe vint Boileau, son exécuteur des hautes œuvres. Il fut décrété que le sens de la phase, coupé à la césure, se terminerait à la fin du vers, et que tous les vers se ressembleraient entre eux comme un morceau de galette de deux sous ressemble à un autre morceau de galette de deux sous. Les grands contemporains de Boileau eurent des velléités de révolte ; en fin de compte ils se soumirent avec l’enfantine bêtise du génie : car un dieu exilé sur la terre sera toujours dompté par un cuistre. Rien qu’avec le nouveau système, inventé pour le triomphe des impuissants, la Rime fût devenue complètement inutile, Corneille, Racine, La Fontaine, Molière continuèrent à rimer, comprenant obscurément que le salut était là. Mais après eux on s’en donna à cœur joie. Plus d’harmonie, plus de mouvement, plus de rhythme, plus de rime surtout : des vers incolores et fades taillés sur