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sources des fleuves à l’onde sacrée exhalent un douloureux murmure : tout, dans le monde, pleure sur les tourments d’Atlas.
Eschyle. Prométhée enchaîné[1].

On comprend quelle devait être la grandeur d’un spectacle où le Chant, ailé comme une prière, unissait ainsi l’âme humaine au ciel. Et comment la Tragédie aurait-elle pu se passer de l’Hymne ? Elle en était née ; elle avait été à son origine ce chant de joie et d’espérance que les vendangeurs couronnés de vignes chantaient en l’honneur de Bakkhos. Thespis eut l’idée d’introduire au milieu de ce chant, récité par des chœurs, un acteur qui racontât les actions de Bakkhos. Puis le poète prit des sujets étrangers à ce dieu et eut enfin l’idée de diviser le récit en plusieurs parties, pour couper plusieurs fois le chant. Eschyle, pour le récit, mit deux acteurs au lieu d’un, transporta sur le théâtre toute l’action épique et du premier coup créa la Tragédie, plus belle et plus parfaite qu’elle ne devait jamais l’être après lui. Car s’il imagina le jeu et la lutte des passions humaines, il sut y intéresser le Chœur, toujours préoccupé, comme notre âme livrée à elle-même, des vérités éternelles et divines, et c’est dans cette associa-

  1. Théâtre d’Eschyle, traduction de M. Alexis Pierron. — Bibliothèque Charpentier.