Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/290

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jugement de ce critique a fait foi, et la postérité a pris au sérieux son prétendu mépris pour « le clinquant du Tasse. » Il serait aussi raisonnable de dédaigner les raisins sur le témoignage du renard, et aussi une pareille confusion n’aurait jamais pu s’établir, si la haine de Boileau ne se fût trouvée justifiée par un merveilleux accord avec le sentiment national. Ronsard a été un lyrique, le premier et le plus convaincu de nos lyriques ; de là sa gloire et son opprobre ; de là les honneurs qui en ont fait un demi-dieu ; de là aussi les injustices qu’il a subies et le mépris où il est tombé. Nul ici-bas ne porte en vain les insignes d’une royauté ; il n’est guère de triomphe qui ne doive être expié un jour par des affronts cruels. Ce retour nécessaire et forcé des choses de ce monde a été exprimé dans une forme impérissable par cette strophe du grand poëte :


Leurs mains ont retourné ta robe dont le lustre
                Irritait leur fureur ;
Avec la même pourpre, ils font fait vil d’illustre
                Et forçat d’empereur !


Le crime de Ronsard, celui qui ne pourra lui être pardonné, c’est d’avoir fait le personnage d’un prince des poètes sans avoir été en effet un homme de génie. Son excuse, c’est qu’il accom-