Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/302

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syllabes. Grâce à lui, nous avous su qu’elle est un art musical et un art plastique, et que rien d’humain ne lui est étranger. Tout l’art lyrique moderne, cet art profond et terrible qui ne s’en tient jamais à la lettre, mais qui émeut l’âme, les fibres, les sens, avec des moyens de peinture, de musique, de statuaire ; cette magie, qui consiste a éveiller des sensations à l’aide d’une combinaison de sons et qui rend une forme visible et sensible comme si elle était taillée dans le marbre ou représentée par des couleurs réelles, cette sorcellerie grâce à laquelle des idées nous sont nécessairement communiquées d’une manière certaine par des mots qui cependant ne les expriment pas, ce don, ce prestige, c’est à Ronsard que nous le devons. À en croire la critique routinière, qui agite d’âge en âge le même flambeau éteint, le bagage de Ronsard se composerait justement de dix-huit vers ; il y a dans le seul recueil des Odes quarante pièces égales à la fameuse odelette Mignonne, allons voir si la rose, autant de diamants purs, autant de perles exquises, autant de chefs-d’œuvre taillés de main d’ouvrier dans une matière durable. L’abus de la pompe, du grandiose, de l’image, en un mot, tel est le grand reproche adressé sans relâche à Ronsard.