Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/304

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écrit d’un bout à l’autre dans un style aussi affecté que celui du marquis de Mascarille ; celui de Ducis brille par la plus heureuse et la plus naturelle simplicité. La différence reste chez nous si grande et si absolue entre la langue parlée et la langue chantée que ce qui est dans l’un des genres une qualité précieuse devient, dans l’autre, une infirmité déplorable. Ronsard n’a pas connu le doute railleur, l’esprit incisif et ironique ; il est tout enthousiasme, et par cela même il prouve qu’il est né poëte. N’oublions pas pourtant que son plus chaud défenseur a relevé chez lui par milliers des traits exquis de naturel et de naïveté qui font songer involontairement à Marot et à La Fontaine. Mais avec l’allure fière de sa strophe, avec l’élan de son vers toujours gracieux et superbe, il aurait pu se passer de ce mérite, et rester encore un puissant créateur, un ouvrier accompli. Et pourtant, des qualités si magistrales ne l’ont pas sauvé.

La croisade entreprise par Pierre de Ronsard et par ses amis ne pouvait pas aboutir, c’est convenu, et ne suffit-il pas de dire qu’elle devait se terminer comme toutes les croisades ? On s’élance vers l’Orient pour y conquérir le tombeau d’un Dieu ; on en rapporte des fleurs, des fruits, une architecture, des arts de loisir et d’élégance, rien