Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/325

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pards, tortues opiniâtres, ânes résignés et doux, coursiers aux flottantes crinières ? Quelle ruse l’introduira dans le conseil tenu par les rats et dans la discussion des grenouilles ? Quel historien, quel naturaliste lui apprendra quels animaux sont poètes, guerriers, marchands, industriels, artisans, artistes, saltimbanques, comment ils débattent leurs intérêts entre eux, passent des marchés, exécutent et violent des conventions, comme ils naissent, comme ils se marient, comme ils meurent et comme ils parlent aux Dieux et aux hommes ? Nul naturaliste. Buffon a décrit magnifiquement les bêtes, mais il ne sait rien de leurs affaires, et s’il avait quelque arrangement à conclure avec messire Loup ou avec dame Belette, il serait incapable de s’en tirer tout seul. La Fontaine, lui, a vécu dans l’intimité de ces êtres ; animaux paysans et laboureurs, animaux ducs et chefs d’armée, animaux vivant de travail ou de rapine, il sait leurs mœurs, leurs coutumes, le langage de leurs professions diverses. Et par quel miracle ? En vertu de ce génie d’observation qui nous fait saisir des analogies sans nombre entre les facultés de l’âme et l’expression des sentiments et des passions par la mimique. Si l’homme avare affecte tel geste, tel animal qui reproduit le même geste sera un avare ; de même