Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/327

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bestiales ; elle enveloppe même les personnages qui sont le décor, l’arbre, le rocher, le fleuve, la nature sans cesse débordante de vie, brisée de douleur, ivre d’amour ; et l’enchantement sera complet quand le poëte, quand le magicien implacable y aura fait entrer la personnalité divine.

Pour cela, un seul moyen, faute duquel la chaîne serait rompue. Le poëte, chrétien convaincu et fervent, gardera sa religion dans le sanctuaire de sa pensée ; à cet océan de vérité il prendra seulement la haine de l’injustice, l’amour des faibles, le respect du devoir et du sacrifice ; pour tout le reste, et de par son droit de créateur, il sera païen et franchement païen. En toute poésie bien construite, les Dieux grecs sont les seuls Dieux possibles du poëte, jeunes, beaux, rayonnants de joie, livrant au vent du ciel leurs chevelures ambroisiennes, couverts de crimes et d’incestes, braves, jaloux, vindicatifs, héroïques, ils ont tout de l’homme et tout de la bête féroce ; ils sont les parents du serpent et du lion, comme ils sont les parents de la race humaine, et, de droit, ils entrent dans la fable en vertu de la loi souveraine qui proportionne l’un à l’autre les éléments d’une création artistique. Ce que fit La Fontaine donnant aux plantes, à l’homme, aux Dieux une âme commune, l’antiquité l’avait fait, célébrant