Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/330

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entendue, mieux que personne il l’a chantée d’une voix attendrie, narquoise, héroïque et doucement enfantine, et c’est la même que ses petits-fils fredonnent encore au bruit de l’orage et au bruit tumultueux du tambour ! Enfin, La Fontaine a été le poëte même et l’esprit même de cette France qui ne veut pas être poëte ; il a su unir les deux natures dans la suprême divinité du génie.

La liste des auteurs dans lesquels La Fontaine a puisé les sujets de ses fables contient près de cent noms, les poëtes de l’univers entier, toutes les contrées et tous les âges, l’Iliade et Les Mille et une Nuits, Bonaventure Desperiers et Louise Labé, Bidpay et Regnier, Denys d’Halicarnasse et Rabelais ; elle va d’Hésiode à Guichardin en passant par Tabarin et Grattelard. On voit que La Fontaine prenait son bien où il le trouvait, et qu’il le trouvait partout, comme dans la maison même de Phèdre ou d’Ésope. En cela, La Fontaine a montré, une fois pour toutes, qu’il comprenait le rôle du poëte, et qu’il savait à quoi s’eii tenir sur ce qu’on nomme l’invention. On ne trouve pas, on n’invente pas de sujets ; les mêmes ont servi depuis le commencement et serviront jusqu’à la fin du monde. Tout au plus appartiennent-ils à celui qui sait les revêtir d’une forme victorieuse et définitive, au Dante qui