Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/72

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sourds, brillants, muets, colorés de telle ou telle façon, tels enfin qu’ils doivent être pour complé- ter le. sens et Tharmonie des premiers et pour former avec eux un tout énergique, gracieux, vivant et solide. Le reste, ce qui n’a pas 4té révélé, trouvé ainsi, les soudures, ce que le poète doit rajouter pour boucher les trous avec sa main d’artiste et d’ouvrier, est ce qu’on appelle les Chevilles.

Ainsi tous les vulgaires préjugés s’écroulent! Nous avons vu qu’on ne saurait sacrifier la Rai- son A LA Rime, puisqu’on les sacrifie ensemble et par la même occasion, ou qu’on ne les sacrifie pas, et nous voyons maintenant qu’iL y a tou- jours DES CHEVILLES DANS TOUS LES POEMES. GCUX qui nous conseillent à’ éviter les chevilles me fe- raient plaisir d’attacher deux planches l’une à l’autre au moyen de la pensée, ou de lier ensem- ble deux barres de fer en remplaçant les vis par la conciliation. Bien plus, il y a autant de che- villes dans un bon poëme que dans un mauvais, et quand nous en serons là, je les ferai toucher du doigt à mes lecteurs I Toute la différence, c’est que les chevilles des mauvais poètes sont placées bêtement, tandis que celles des bons poëtes sont des miracles d’invention et d’ingéniosité. C’est par une ironie à la troisième puissance que Mus-