Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

merveilleuse scène du Maître de Philosophie dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière :

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

On les peut mettre premièrement comme vous ayez dit : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos beaux yeux d’amour me font, belle mar- quise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle mar- quise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos beaux yeux mourir, belle marquise, d’amour.

MONSIEUR JOURDAIN.

Mais de ces façons-là, laquelle est la meilleure ?

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Celle que vous avez dite : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.

Cette façon-là n’est pas seulement la meilleure, elle est la seule, en prose comme en vers, en vers surtout. Ainsi que nous l’avons démontré, comme en poésie ce n’est pas la rime, mais au contraire le manque de rime qui fait obstacle à la clarté, vous voyez (et cela est sans exception) que l’In- version sévit surtout aux époques où l'on ne sait plus rimer. Et cela se comprend aisément. A la fin du XVIIIe siècle par exemple, et sous le pre- mier empire, on ne savait plus qu’une vingtaine de rimes, pauvres, niaises, inexactes et toujours les mêmes. Il fallait les amener forcément, puis- qu’on n’en avait pas d’autres et puisqu’on n’en savait pas d’autres. Or, comme vingt mots ne