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Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/99

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avons posé déjà : Dans la versification française, quand la Rime est ce qu’elle doit être, tout fleurit et prospère ; tout décroît et s’atrophie, quand la rime faiblit. Ceci est la clef de tout, et on ne saurait avoir cet axiome trop présent à la pensée.

Supposez la rime riche, brillante, solide, variée à la fois, comme elle doit l’être, statuaire et peintre, tour à tour épique, enjouée, terrible, délicate, bouffonne, habile à tout animer, à tout figurer, à tout faire vivre dans une forme simple et durable, il faudra supprimer comme inutile et le mot enjambement et l’idée qu’il représente. Que signifie ce mot enjambement ? Qu’un mot ou un membre de phrase placé au commencement d’un vers continue par exception le sens commencé dans le vers précédent. Cela suppose donc une règle qui ordonnerait de suspendre, ou plutôt de terminer la phrase à la fin de chaque vers. À elles deux, la règle qui ordonne que le sens soit toujours suspendu régulièrement à l’hémistiche, et celle-ci qui ordonne de le terminer à la fin du vers, elles avaient décrété tout bonnement la mort de la poésie, un vers endormant, somnifère, pareil à cet opium de Molière qui fait dormir parce qu’il contient en lui une vertu dormitive, automatique et morne comme le pas du soldat en marche et bête comme le tic-tac d’une horloge de bois. Elles ont