« Dans la préméditation du crime, toutes les circonstances qui me favorisaient m’avaient frappé d’un seul coup, et bien avant même de faire un cadavre de l’agent de change, j’avais entrevu combien il me serait facile de m’en débarrasser. Au préalable, je sortis pour tâter les lieux. Le brouillard ne discontinuait pas d’étendre aux alentours son voile impénétrable. J’étais à deux pas du Pont-Rouge. De borne en borne, je me glissai jusqu’à la Seine. J’écoutai. Le silence n’était pas moins profond que les ténèbres n’étaient épaisses. L’eau seule, dans sa course, bruissait et chantait sa psalmodie monotone et sinistre…
« De retour à la maison, après m’être déchaussé, car j’étais résolu à sortir pieds nus, j’enveloppai Thillard et sa valise dans les plis de son manteau. Déjà d’une force herculéenne, surexcité en outre au point d’ébranler une montagne, je soulevai l’agent de change dans mes bras comme j’eusse fait d’un mannequin d’osier. Sur mon ordre, Rosalie éteignit la lumière et alla m’ouvrir la porte…
« Chargé de mon fardeau, je marchai à pas de loup, lentement, sûrement vers le pont. Quoi que j’en eusse, je sentais la sueur ruisseler sur mon visage. Pour surcroît de terreur, je ne fus pas plutôt engagé sur la passerelle, que les oscillations du tablier me firent croire que des gens venaient à ma rencontre. Une telle sensation n’est pas exprimable.