Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/156

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C’étaient un homme et une femme, tous deux de haute taille, et qui, dès le premier regard que je leur jetai, me firent l’effet d’appartenir aux rangs élevés du monde parisien. Ils n’étaient jeunes ni l’un ni l’autre, mais néanmoins parfaitement beaux. L’homme devait s’en aller vers quarante-sept ans et davantage, et la femme vers quarante et plus… Ils avaient donc, comme disent les marins revenus de la Terre de Feu, passé la ligne, la ligne fatale, plus formidable que celle de l’équateur, qu’une fois passée on ne repasse plus sur les mers de la vie ! Mais ils paraissaient peu se soucier de cette circonstance. Ils n’avaient au front, ni nulle part, de mélancolie… L’homme, élancé et aussi patricien dans sa redingote noire strictement boutonnée, comme celle d’un officier de cavalerie, que s’il avait porté un de ces costumes que le Titien donne à ses portraits, ressemblait par sa tournure busquée, son air efféminé et hautain, ses moustaches aiguës comme celles d’un chat et qui à la pointe commençaient à blanchir, à un mignon du temps de Henri III ; et pour que la ressemblance fût plus complète, il portait des cheveux courts, qui n’empêchaient nullement de voir briller à ses oreilles deux saphirs d’un bleu sombre, qui me rappelèrent les deux émeraudes que Sbogar portait à la même place… Excepté ce détail