Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/159

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entre les barreaux de la cage, elle en fouetta le museau court de la panthère, qui ne fit qu’un mouvement… mais quel mouvement !… et d’un coup de dents, rapide comme l’éclair !… Un cri partit du groupe où nous étions. Nous avions cru le poignet emporté : Ce n’était que le gant. La panthère l’avait englouti. La formidable bête outragée avait rouvert des yeux affreusement dilatés, et ses naseaux froncés vibraient encore…

— Folle ! — dit l’homme, en saisissant ce beau poignet, qui venait d’échapper à la plus coupante des morsures.

Vous savez comme parfois on dit : « Folle !… » Il le dit ainsi ; et il le baisa, ce poignet, avec emportement.

Et, comme il était de notre côté, elle se retourna de trois quarts pour le regarder baisant son poignet nu, et je vis ses yeux, à elle… ces yeux qui fascinaient des tigres, et qui étaient à présent fascinés par un homme ; ses yeux, deux larges diamants noirs, taillés pour toutes les fiertés de la vie, et qui n’exprimaient plus en le regardant que toutes les adorations de l’amour !

Ces yeux-là étaient et disaient tout un poème. L’homme n’avait pas lâché le bras, qui avait dû sentir l’haleine fiévreuse de la panthère, et, le tenant replié sur son cœur, il entraîna la femme dans la grande allée du jardin, indiffé-