Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

croyais impossible, dégoûté des meilleurs mariages que j’aie connus, et que le monde appelle charmants. Je les ai toujours trouvés si inférieurs au leur, si décolorés et si froids ! La destinée, leur étoile, le hasard, qu’est-ce que je sais ? a fait qu’ils ont pu vivre pour eux-mêmes. Riches, ils ont eu ce don de l’oisiveté sans laquelle il n’y a pas d’amour, mais qui tue aussi souvent l’amour qu’elle est nécessaire pour qu’il naisse… Par exception, l’oisiveté n’a pas tué le leur. L’amour, qui simplifie tout, a fait de leur vie une simplification sublime. Il n’y a point de ces grosses choses qu’on appelle des événements dans l’existence de ces deux mariés, qui ont vécu, en apparence, comme tous les châtelains de la terre, loin du monde auquel ils n’ont rien à demander, se souciant aussi peu de son estime que de son mépris. Ils ne se sont jamais quittés. Où l’un va, l’autre l’accompagne. Les routes des environs de V… revoient Hauteclaire à cheval, comme du temps du vieux La Pointe-au-corps ; mais c’est le comte de Savigny qui est avec elle, et les femmes du pays, qui, comme autrefois, passent en voiture, la dévisagent plus encore peut-être que quand elle était la grande et mystérieuse jeune fille au voile bleu sombre, et qu’on ne voyait pas. Maintenant, elle lève son voile, et leur montre