Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/240

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intimes de la baronne sont un peu de tous les pays. Il y a parmi eux des Anglais, des Polonais, des Russes ; mais ce sont tous des Français pour le langage et par ce tour d’esprit et de manières qui est le même partout, à une certaine hauteur de société. Je ne sais pas de quel point on était parti pour arriver là ; mais, quand j’entrai, on parlait romans. Parler romans, c’est comme si chacun avait parlé de sa vie. Est-il nécessaire d’observer que, dans cette réunion d’hommes et de femmes du monde, on n’avait pas le pédantisme d’agiter la question littéraire ? Le fond des choses, et non la forme, préoccupait. Chacun de ces moralistes supérieurs, de ces praticiens, à divers degrés, de la passion et de la vie, qui cachaient de sérieuses expériences sous des propos légers et des airs détachés, ne voyait alors dans le roman qu’une question de nature humaine, de mœurs et d’histoire. Rien de plus. Mais n’est-ce donc pas tout ?… Du reste, il fallait qu’on eût déjà beaucoup causé sur ce sujet, car les visages avaient cette intensité de physionomie qui dénote un intérêt pendant longtemps excité. Délicatement fouettés les uns par les autres, tous ces esprits avaient leur mousse. Seulement, quelques âmes vives — j’en pouvais compter trois ou quatre dans ce salon — se tenaient en silence, les unes le front baissé,