Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/325

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et avare (prétendait-on), dur à la détente, — c’était le mot dont on se servait, — qui depuis longues années vivait retiré de toutes compagnies, excepté pendant les trois mois que son fils, qui habitait Paris, venait passer dans la ville de ***. Alors, ce vieux M. de Mesnilgrand, qui ne voyait pas un chat d’ordinaire, se mettait à inviter et à recevoir les anciens amis et camarades de régiment de son fils et à se gaver de ces somptueux dîners d’avare, à faire partout, disaient les rabelaisiens de l’endroit, fort malproprement et fort ingratement aussi, car la chère (cette chère de vilain vantée par les proverbes) y était excellente.

Pour vous en donner une idée, il y avait, à cette époque-là, dans la ville de ***, un fameux receveur particulier des finances, qui avait, quand il y arriva, produit l’effet d’un carrosse à six chevaux entrant dans une église. C’était un assez mince financier que ce gros homme, mais la nature s’était amusée à en faire, de vocation, un grand cuisinier. On racontait qu’en 1814, il avait apporté à Louis XVIII, détalant vers Gand, d’une main la caisse de son arrondissement, et de l’autre un coulis de truffes qui semblait avoir été cuisiné par les sept diables des péchés capitaux, tant il était délicieux ! Louis XVIII avait, comme de juste, pris la caisse sans dire seule-