Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/327

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mis l’Empire en miettes et renversé la fortune de Celui qui alors n’était plus que l’Empereur, comme s’il avait perdu son nom dans sa fonction et dans sa gloire ! Parti comme vélite à dix-huit ans, de l’étoffe dans laquelle se taillaient les maréchaux à cette époque, le fils Mesnilgrand avait fait les guerres de l’Empire, ayant sur son kolback tous les panaches de l’espérance ; mais le tonnerre final de Waterloo avait brûlé jusqu’à ras de terre ses dernières ambitions. Il était de ceux que la Restauration ne reprit pas à son service, parce qu’ils n’avaient pu résister à la fascination du retour de l’île d’Elbe, qui fit oublier leurs serments aux hommes les plus forts, comme s’ils avaient perdu leur libre arbitre. Le chef d’escadron Mesnilgrand, celui dont les officiers de Chamboran, ce régiment romanesquement brave, disaient : « On peut être aussi brave que Mesnilgrand ; mais davantage, c’est impossible ! » vit de ses camarades de régiment, qui n’avaient pas des états de service comparables aux siens, devenir, à sa moustache, colonels des plus beaux régiments de la Garde Royale ; et, quoiqu’il ne fût pas jaloux, ce lui fut une cruelle angoisse… C’était une nature de l’intensité la plus redoutable. La discipline militaire d’un temps où elle fut presque romaine, fut seule capable d’endiguer les passions de ce violent