Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/333

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pation ridicule, prit un moyen hardi pour la faire cesser. Un soir de réunion dans une des maisons les plus aristocratiques de la ville, il dit au domestique : « Annoncez le duc de Mesnilgrand. » Et le domestique, étonné, annonça d’une voix de Stentor : « Monsieur le duc de Mesnilgrand ! » Ce fut un haut-le-corps général. « Ma foi, — dit-il, voyant l’effet qu’il avait produit, — en tant que tout le monde se donne un titre, j’ai mieux aimé prendre celui-là ! » On ne souffla mot. Et même quelques-uns de bonne humeur se mirent à rire dans les petits coins ; mais on ne recommença plus. Il y a toujours des Chevaliers errants dans le monde. Ils ne redressent plus les torts avec la lance, mais les ridicules avec la raillerie, et Mesnilgrand était de ces Chevaliers-là.

Il avait le don du sarcasme. Mais ce n’était pas le seul don que le Dieu de la force lui eût fait. Quoique, dans son économie animale, le caractère fût sur le premier plan, comme chez presque tous les hommes d’action, l’esprit, resté en seconde ligne, n’en était pas moins, pour lui et contre les autres, une puissance. Nul doute que si le chevalier de Mesnilgrand avait été un homme heureux, il n’eût été très spirituel ; mais, malheureux, il avait des opinions de désespéré et, quand il était gai, chose rare, une gaîté de désespéré ; et rien ne casse