Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/335

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verser celui qui aurait eu l’imprudence de les effleurer. « Il est venu passer hier la soirée à la maison, — disait une jeune fille à une de ses amies. — Ma chère, il y a rugi tout le temps. C’est un démoniaque. On finira par ne plus le recevoir du tout, M. de Mesnilgrand. » Sans ces rugissements de mauvais ton, pour lesquels ne sont faits ni les salons, ni les âmes qui les habitent, peut-être aurait-il intéressé les jeunes filles qui en parlaient avec cette moqueuse sévérité. Lord Byron commençait à devenir fort à la mode dans ce temps-là, et quand Mesnilgrand était silencieux et contenu, il y avait en lui quelque chose des héros de Byron. Ce n’était pas la beauté régulière que les jeunes personnes à âme froide recherchent. Il était rudement laid ; mais son visage pâle et ravagé, sous ses cheveux châtains restés très jeunes, son front ridé prématurément, comme celui de Lara ou du Corsaire, son nez épaté de léopard, ses yeux glauques, légèrement bordés d’un filet de sang comme ceux des chevaux de race très ardents, avaient une expression devant laquelle les plus moqueuses de la ville de *** se sentaient troublées. Quand il était là, les plus ricaneuses ne ricanaient plus. Grand, fort, bien tourné, quoiqu’il se voûtât un peu du haut du corps, comme si la vie qu’il portait eût été une armure trop lourde,