Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/34

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sâmes, les réverbères, ce luxe tardif, étaient rares, et on y voyait certainement bien moins que sur les routes que nous venions de quitter. Là, du moins, le ciel avait sa largeur, et la grandeur de l’espace faisait une vague lumière, tandis qu’ici le rapprochement des maisons qui semblaient se baiser, leurs ombres portées dans ces rues étroites, le peu de ciel et d’étoiles qu’on apercevait entre les deux rangées des toits, tout ajoutait au mystère de ces villes endormies, où le seul homme qu’on rencontrât était — à la porte de quelque auberge — un garçon d’écurie avec sa lanterne, qui amenait les chevaux de relais, et qui bouclait les ardillons de leur attelage, en sifflant ou en jurant contre ses chevaux récalcitrants ou trop vifs… Hors cela et l’éternelle interpellation, toujours la même, de quelque voyageur, ahuri de sommeil, qui baissait une glace et criait dans la nuit, rendue plus sonore, à force de silence : « Où sommes-nous donc, postillon ?… » rien de vivant ne s’entendait et ne se voyait autour et dans cette voiture pleine de gens qui dormaient, en cette ville endormie, où peut-être quelque rêveur, comme moi, cherchait, à travers la vitre de son compartiment, à discerner la façade des maisons estompée par la nuit, ou suspendait son regard et sa pensée à quelque fenêtre éclairée encore à cette heure avancée,