Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/353

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fond — ce bouchon de la salle — risqua bien souvent d’en sauter, après tous les autres bouchons.

Ce fut à midi précis qu’on se mit à table, selon la coutume ironique de ces irrévérents moqueurs, qui profitaient des moindres choses pour montrer leur mépris de l’Église. Une idée de ce pieux pays de l’Ouest est de croire que le Pape se met à table à midi, et qu’avant de s’y mettre, il envoie sa bénédiction à tout l’univers chrétien. Eh bien ! cet auguste Benedicite paraissait comique à ces libres penseurs. Aussi, pour s’en gausser, le vieux M. de Mesnilgrand ne manquait jamais, quand le premier coup de midi sonnait au double clocher de la ville, de dire du plus haut de sa voix de tête, avec ce sourire voltairien qui fendait parfois en deux son immobile face lunaire : « À table, messieurs ! Des chrétiens comme nous ne doivent pas se priver de la bénédiction du Pape ! » Et ce mot, ou l’équivalent, était comme un tremplin tendu aux impiétés qui allaient y bondir, à travers toutes les conversations échevelées d’un dîner d’hommes, et d’hommes comme eux. En thèse générale, on peut dire que tous les dîners d’hommes où ne préside pas l’harmonieux génie d’une maîtresse de maison, où ne plane pas l’influence apaisante d’une femme