Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/395

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— Jamais, — reprit Mesnilgrand, — elle n’avait fait la moindre allusion à sa grossesse ; mais quoi d’étonnant ? C’était, je vous l’ai dit, un sphinx que la Pudica, un sphinx qui dévorait le plaisir silencieusement et gardait son secret. Rien du cœur ne traversait les cloisons physiques de cette femme, ouverte au plaisir seul… et chez qui la pudeur était sans doute la première peur, le premier frisson, le premier embrasement du plaisir ! Cela me fit un effet singulier de la savoir enceinte. Convenons-en, messieurs, à présent que nous sommes sortis de la vie bestiale des passions : ce qu’il y a de plus affreux dans les amours partagées, — cette gamelle ! — ce n’est pas seulement la malpropreté du partage, mais c’est de plus l’égarement du sentiment paternel ; c’est cette anxiété terrible qui vous empêche d’écouter la voix de la nature, et qui l’étouffe dans un doute dont il est impossible de sortir. On se dit : Est-ce à moi, cet enfant ?… Incertitude qui vous poursuit comme la punition du partage, de l’indigne partage auquel on s’est honteusement soumis ! Si on pensait longtemps à cela, quand on a du cœur, on deviendrait fou ; mais la vie, la vie puissante et légère, vous reprend de son flot et vous emporte, comme le bouchon en liège d’une ligne rompue. — Après cette déclaration faite à nous tous par le major Ydow, le petit tressail-