Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/427

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Chaussée-d’Antin, étincelante de ses mille becs de lumière, vit avec surprise tout ce luxe piaffant de courtisane, toute cette fierté impudente de fille enivrée d’elle-même et des soies qu’elle traînait, s’enfoncer dans la rue Basse-du-Rempart, la honte du boulevard de ce temps ! Et l’élégant, aux bottes vernies, moins brave que la femme, hésita avant d’entrer là-dedans… Mais ce ne fut guère qu’une seconde… La robe d’or, perdue un instant dans les ténèbres de ce trou noir, après avoir dépassé l’unique réverbère qui les tatouait d’un point lumineux, reluisit au loin, et il s’élança pour la rejoindre. Il n’eut pas grand-peine : elle l’attendait, sûre qu’il viendrait ; et ce fut, alors, qu’au moment où il la rejoignit elle lui projeta bien en face, pour qu’il pût en juger, son visage, et lui campa ses yeux dans les yeux, avec toute l’effronterie de son métier. Il fut littéralement aveuglé de la magnificence de ce visage empâté de vermillon, mais d’un brun doré comme les ailes de certains insectes, et que la clarté blême, tombant en maigre filet du réverbère, ne pouvait pas pâlir.

— Vous êtes Espagnole ? — fit Tressignies, qui venait de reconnaître un des plus beaux types de cette race.

— Si, — répondit-elle.

Être Espagnole, à cette époque-là, c’était