Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/444

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étrange et incompréhensible, cette duchesse, admirée un instant et disparue, revenait dans sa vie par le plus incroyable des chemins ! Elle faisait un métier infâme ; il l’avait achetée. Elle venait de lui appartenir. Elle n’était plus qu’une prostituée, et encore de la prostitution la plus basse, car il y a une hiérarchie jusque dans l’infamie… La superbe duchesse de Sierra-Leone, qu’il avait rêvée et peut-être aimée, — le rêve étant si près de l’amour dans nos âmes !  — n’était plus… était-ce bien possible ? qu’une fille du pavé de Paris !!! C’était elle qui venait de se rouler dans ses bras tout à l’heure, comme elle s’était roulée probablement, la veille, dans les bras d’un autre, — le premier venu comme lui, — et comme elle se roulerait encore dans les bras d’un troisième demain, et, qui sait ? peut-être dans une heure ! Ah ! cette découverte abominable le frappait à la poitrine et au front d’un coup de massue de glace. L’homme, en lui, qui flambait il n’y avait qu’une minute, — qui, dans son délire, croyait voir courir du feu jusque sur les corniches de cet appartement, embrasé par ses sensations, restait désenivré, transi, écrasé. L’idée, la certitude que c’était là réellement la duchesse de Sierra-Leone, n’avait pas ranimé ses désirs, éteints aussi vite qu’une chandelle qu’on souffle, et ne lui avait pas fait remettre sa bouche, avec plus d’avidité que la