Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/54

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« J’étais donc là environ depuis un semestre, tout aussi tranquille que mes hôtes, auxquels je n’avais jamais entendu dire un seul mot ayant trait à l’existence de la personne que j’allais rencontrer chez eux, quand un jour, en descendant pour dîner à l’heure accoutumée, j’aperçus dans un coin de la salle à manger une grande personne qui, debout et sur la pointe des pieds, suspendait par les rubans son chapeau à une patère, comme une femme parfaitement chez elle et qui vient de rentrer. Cambrée à outrance, comme elle l’était pour accrocher son chapeau à cette patère placée très haut, elle déployait la taille superbe d’une danseuse qui se renverse, et cette taille était prise (c’est le mot, tant elle était lacée !) dans le corselet luisant d’un spencer de soie verte à franges qui retombaient sur sa robe blanche, une de ces robes du temps d’alors, qui serraient aux hanches et qui n’avaient pas peur de les montrer, quand on en avait… Les bras encore en l’air, elle se retourna en m’entendant entrer, et elle imprima à sa nuque une torsion qui me fit voir son visage ; mais elle acheva son mouvement comme si je n’eusse pas été là, regarda si les rubans du chapeau n’avaient pas été froissés par elle en le suspendant, et cela accompli lentement, attentivement et presque impertinemment, car, après tout, j’étais là, debout, atten-