Page:Barbey d'Aurevilly - Le Parnasse contemporain paru dans le Nain Jaune, 1866.djvu/12

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III


Ce qu’ils ont fait ?… Lisez ce livre ! Voilà justement la question que j’ai posée et que je veux débattre ! Ce qu’ils ont fait ?… Ah ! s’ils n’avaient fait que du mauvais !… le mauvais est parfois respectable, quand il trahit un rude effort, quelque enragé martèlement, une nature violente, emportée, indomptée, capable un jour de faire mieux ! Le mauvais dans les choses de l’esprit, — dans les choses de la poésie, — est comme la laideur dans les choses physiques : il peut avoir son expression, son intérêt, son originalité. J’ai vu des femmes laides, — et qui n’en a pas aimé ? — qui avaient leur charme, souvent étrange de profondeur. Mais ce mauvais-là n’a pas été leur besogne. Ils n’ont point fait de ce mauvais, mais — écoutez-moi bien et pesez mes paroles que je justifierai — ils n’ont absolument rien fait, ils ont répété. Parmi les trente-sept Muses de ce Parnasse contemporain et… inconnu, qui ne sont pas même des Musettes, il n’y en a pas une qui ne soit cette chose sans face qu’on appelle un écho et qui ne serait pas, si quelqu’un — une personne — n’avait pas changé ! Ils ont répété, en l’amoindrissant, ou en le changeant, ou en le dépravant ce que d’autres avaient dit mieux qu’eux, plus simplement qu’eux, plus fortement qu’eux ! Ils ont été enfin… j’ai déjà dit ce mot terrible à l’amour-propre des hommes qu’il frappe… des imitateurs. Et ils l’ont été tellement qu’ils n’ont pas uniquement imité des esprits originaux, des génies personnels, les seuls qui comptent, après tout, dans les littératures, mais qu’ils ont imité des imitants, qu’ils ont été des imitateurs d’imitateurs. Ils ont offert aux esprits gais, à ceux qui aiment encore à rire, des généalogies d’imitateurs des plus plaisantes. M. Catulle Mendès, qui fera, lorsque nous vous en parlerons, votre bonheur comme il a fait le nôtre, a imité, par exemple, mais jusqu’à la fureur, M. Leconte de L’Isle, lequel a imité M. Victor Hugo, puis Ossian, façon Macpherson, puis tous les poètes indiens,