Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/123

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De ce bras de mer jusqu’au manoir, on aurait pu la suivre à la trace de sa robe et de ses pieds ruisselants. À elle, il semblait que c’était le sang de son cœur qui ruisselait ainsi et tombait dans le sable. Une telle illusion épuisait ses forces. L’imagination des êtres nerveux ajoute tant de dangers à la douleur ! Il était temps qu’elle arrivât : elle ne tenait plus sur sa selle. Elle s’évanouissait. Quand son cheval, devancé toujours par celui de Ryno, arriva devant le perron du manoir et s’arrêta court, Ryno était descendu du sien et alla vers elle. Il la prit à son cou, humide, pâle et froide, comme une naufragée, pour la mettre à terre ; mais il la sentit s’affaisser sur son épaule, comme un lys cassé dans les mains qui le portent, et il monta vite les marches du perron, chargé de son précieux fardeau, réchauffant de toute sa personne ces genoux mouillés qu’il appuyait contre le foyer de sa poitrine et qu’il encerclait de ses bras, comme de deux bandelettes tièdes de vie. Il l’emporta et la déposa dans leur chambre, sur ce lit où ils avaient moins dormi que veillé, en face d’un feu qu’on avait allumé d’avance pour leur retour. La figure de Ryno, arraché à sa préoccupation par l’angoisse de sa femme, cette figure qui rayonnait d’amour et d’anxiété tendre, sa voix émue, son sein soulevé, ramenèrent Hermangarde à