Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/150

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au cou de ta Malagaise, tu peux me tuer, je souffre trop et je ne souffrirai plus. Oui, nous sommes seuls sur cette plate-forme, prends ton fusil. Ces chiens qui m’aiment ne le diront pas. Ils sont muets. Je vais me placer dans cette embrasure. Fais feu ! Si on t’entend, tu auras manqué une mouette et je serai tombée dans la mer. »

Et elle alla résolument se poser entre deux créneaux de la plate-forme. Le rebord de la maçonnerie, ébranlé par le temps, avait la largeur de la main. La moitié d’un pas : elle sombrait dans l’abîme et se broyait sur les brisants. Elle tourna le dos au précipice avec une insouciance du danger qui la rendit sublime. Elle ne voulait mourir que de la main de Ryno.

Ryno la connaissait. Il eut peur pour elle. Il la vit pencher en arrière… aussi se jeta-t-il en avant et, la saisissant par le corsage, l’enleva-t-il d’entre les créneaux et la rapporta-t-il au centre de la plate-forme, comme un enfant que sa mère palpitante arrache à la margelle d’un puits. Elle était heureuse du danger qu’elle venait de courir, car elle avait voulu les bras de Ryno autour d’elle, et maintenant elle les avait.